Zèbre, personne intellectuellement précoce, surdoué, haut potentiel, personne talentueuse, haut potentiel émotionnel, ... Tant de termes utilisés pour qualifier ce concept. Tant de théories développées par tout un chacun, trouvables facilement sur le net, étant malheureusement souvent de la désinformation.
Mais qu'en est-il vraiment scientifiquement parlant ? Sur quoi se baser ? Dans cet article, cinq mythes sur le haut potentiel sont développés et expliqués.
Définition
Tout d'abord, arrêtons-nous sur la définition. A ce jour, aucune définition ne fait l'unanimité dans la communauté scientifique. Il conviendrait de parler de haut potentiel intellectuel (HPI), qui représenterait un potentiel de réalisation, une efficience cognitive. Le potentiel en question peut (ou non) être réalisé. Les personnes à HPI représentent à peu près 2% de la population. Le HPI n'est, ensuite, pas un diagnostic. Ce n'est pas une pathologie. Nous ne parlons donc pas de diagnostic, le HPI est "identifié". Enfin, il ne faut pas confondre les personnes ayant des "zones" de haute potentialité – c'est-à-dire certaines sphères de leurs fonctions intellectuelles étant très supérieures à la moyenne de la population – avec les personnes HPI, dont l'efficience cognitive globale se trouve très supérieure à la moyenne.
Le Haut Potentiel, c'est du talent ?
Une confusion est encore présente entre des personnes présentant un HPI et des personnes ayant d'excellentes capacités dans des domaines spécifiques, dans un "talent". Comme expliqué dans la définition, la haute potentialité représente une efficience cognitive qui est globale. Elle est indépendante de l'entraînement réalisé pour développer ce potentiel, ou pour développer un talent particulier.
Les personnes à Haut Potentiel fonctionnent différemment ?
Les personnes HPI ne fonctionnent pas de manière différente des autres. Aucune discontinuité n'a été montrée entre les manières de penser des personnes HPI et celle des autres (Thatcher & al., 2005, par exemple). Dans toutes les études examinées, les caractéristiques cérébrales des personnes HP se recouvrent avec celles des individus à QI normal. C’est-à-dire que le fonctionnement est similaire, mais se situe sur un continuum, où les sujets HP fonctionnent de manière plus intense dans certains cas. Nous entendons notamment parler de « pensée en arborescence » chez les individus HP. En réalité, c’est le fonctionnement même du cerveau humain et notamment de la mémoire. En étant HP, la personne va potentiellement vivre ce mode de pensée (étant normal !) de façon plus intense et/ou plus rapide. Mais il ne diffère pas de celui des autres.
Les personnes à Haut Potentiel sont hypersensibles ?
Une autre idée reçue très présente est que l'hypersensibilité représenterait une caractéristique spécifique des personnes HPI, et même un "critère diagnostic". Des études (Brasseur & Grégoire, 2010, notamment) montrent qu’il n’y a pas de différence au niveau physiologique, ni même dans des questionnaires auto-rapportés, au niveau émotionnel. A ce jour, aucune donnée solide n’existe sur la présence d’hypersensibilité spécifique aux personnes HPI ; pas de cause à effet, ni même de corrélation.
D’ailleurs, aucun consensus n’est posé sur la signification d’ « hypersensibilité » : est-ce physiologique ? Est-ce sensoriel ? Emotionnel ? Est-ce en réalité une moins bonne gestion et régulation des émotions ? De l'empathie ? Un peu de tout ? … Il n’existe donc pas actuellement de moyen empiriquement validé pour mesurer cette soi-disant « hypersensibilité ». De plus, une évaluation faite par questionnaire est subjective et peut se trouver très loin de la réalité. Il est compliqué pour une personne de s'évaluer elle-même, elle ne peut le faire que selon son cadre de référence propre, non-généralisable à toute la population.
L’idée que nous retenons actuellement est qu’il existe des personnes plus sensibles, autant chez les personnes HP que « non-HP ». Ce n’est pas du tout une caractéristique propre. Des personnes HP peuvent être très sensibles, ou certaines pas du tout. Leurs pairs peuvent être très sensibles également, ou moins.
Nous pouvons avoir l’impression que les personnes HP sont hypersensibles, car nous ne voyons/rencontrons que cela (ou presque). Nous ne voyons que ceux qui ont des difficultés ; Ceux qui « fonctionnent bien » (à l'école, dans leur vie quotidienne, socialement, ...) ne consultent pas de professionnel psychologue ou autre, et alors ne font pas parler d’eux.
Donc, le mal-être pouvant survenir, les sentiments d'être en marge de la société, non-intégrés, non-compris ou encore ayant des besoins particuliers, ne concernent en réalité qu’une petite partie des personnes HPI.
En outre, l'idée selon laquelle il existerait des personnes soit à HPI, soit à Haut Potentiel Emotionnel (HPE), ou encore les deux, est erronée.
Chaque personne est à considérer de manière individuelle, avec ses caractéristiques propres et ses éventuelles difficultés.
Enfin, le test de QI représente donc à ce jour le seul moyen scientifiquement validé pour identifier une personne à haut potentiel. Les tests de personnalités et autres peuvent être utilisés, mais les résultats ne rentrent pas en ligne de compte pour l’identification de la HPI.
Les personnes à Haut Potentiel échouent à l'école ?
"Ils s'ennuient", "ils sont au-dessus du système scolaire classique", ... Encore une belle idée reçue. En effet, aucun lien n’a été fait entre la haute potentialité et l’échec scolaire : au contraire ! Les études (Guez & al., 2018, pour n’en citer qu’une) montrent effectivement que les personnes à haut potentiel performent mieux à l’école que leurs pairs. Cela est logique en réalité, puisque les épreuves passées dans les bilans de QI sont du registre scolaire… Le mythe de l’échec scolaire (et éventuellement social) de la personne HP provient du fait que ces dernières consultent majoritairement quand elles ont des problèmes, mais cela reste une minorité, comme pour l' "hypersensibilité". Une bonne partie des personnes HP ne sont même pas identifiées, car elles « fonctionnent bien » en général, dans leur vie quotidienne, et donc ne consultent pas. Nous avons donc l’impression que les personnes HP ont des difficultés à l’école, car ce sont elles que nous voyons, mais ce n'est pas généralisable à la population de personnes HPI.
Les personnes à Haut Potentiel ont des troubles associés, comme des troubles du comportement ?
HPI et Trouble Déficitaire de l'Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH) ?
Des études montrent qu'il n'y a pas plus de personnes TDAH chez les personnes HPI (Antshel, 2008 ; Katusic et al., 2011). Le pourcentage de personnes TDAH est similaire dans la population HP et chez leurs pairs. Nous pouvons néanmoins nous poser la question de la cause des symptômes. Par exemple, si un enfant présente de l'agitation : est-ce un besoin physiologique (plutôt associé au TDAH) ou bien une tentative d'auto-stimulation pour ne pas s'ennuyer (associée plutôt au HPI) ?
HPI et Troubles Anxieux ?
Martin et al. (2007 ; 2010) concluent dans leur méta-analyse que les jeunes HPI ont un niveau d'anxiété significativement inférieur à celui des autres. Notons qu'une personne HPI qui est anxieuse – ce qui est plus rare – peut cependant avoir des réactions plus intenses que les"non-HP".
HPI et Trouble Oppositionnel avec Provocation (TOP), Trouble des conduites ?
Murray et Farrington (2010) montrent que le TOP et même les Troubles des conduites sont associés à un QI plus faible. Le QI représenterait donc plutôt un facteur de protection.
HPI et dépression, bipolarité, schizophrénie ?
Aucun risque accru de dépression, de schizophrénie ou de bipolarité n'a été mis en exergue dans les études (Martin et al., 2010 ; Keyes et al., 2017).
Pour conclure, il n'y a pas plus de difficultés chez la personne HPI que dans la population "normale". Le QI représenterait même plutôt un facteur de protection.
Conclusion
Beaucoup de mythes sont encore présents à propos du Haut Potentiel. Retenons qu'il n'est pas une pathologie et qu'il convient de ne pas enfermer une personne dans une case.
Chaque personne est à prendre dans son individualité, avec ses caractéristiques propres, ses forces et ses éventuelles difficultés.
Si des difficultés sont présentes, des adaptations restent toujours possibles. A l'école par exemple, en cas d'ennui et de besoin de stimulation : de l'enrichissement (activités supplémentaires), de l'accélération (programme suivi en moins de temps), ... Un accompagnement psychologique (ou autre) en cas de difficultés émotionnelles, sociales, ... peut être envisagé. Il ne faut pas hésiter à prendre contact avec un (neuro)psychologue afin d'être guidé au mieux.
____________________________________________________
Guez, A., Peyre, H., Le Cam, M., Gauvrit, N., & Ramus, F. (2018). Are high-IQ students more at risk of school failure?. Intelligence, 71, 32-40.
Brasseur, S., & Gregoire, J. (2010). L’intelligence émotionnelle–trait chez les adolescents à haut potentiel: spécificités et liens avec la réussite scolaire et les compétences sociales. Enfance, (1), 59-76.
Thatcher, R. W., North, D., & Biver, C. (2005). EEG and intelligence: relations between EEG coherence, EEG phase delay and power. Clinical neurophysiology, 116(9), 2129-2141.
Antshel, K. M. (2008). Attention‐Deficit Hyperactivity Disorder in the context of a high intellectual quotient/giftedness. Developmental Disabilities Research Reviews, 14(4), 293-299.
Katusic, M. Z., Voigt, R. G., Colligan, R. C., Weaver, A. L., Homan, K. J., & Barbaresi, W. J. (2011). Attention-Deficit/Hyperactivity Disorder in children with high IQ: results from a population-based study. Journal of developmental and behavioral pediatrics: JDBP, 32(2), 103.
Murray, J., & Farrington, D. P. (2010). Risk factors for conduct disorder and delinquency: key findings from longitudinal studies. The Canadian Journal of Psychiatry, 55(10), 633-642.
Martin, L. T., Kubzansky, L. D., LeWinn, K. Z., Lipsitt, L. P., Satz, P., & Buka, S. L. (2007). Childhood cognitive performance and risk of generalized anxiety disorder. International Journal of Epidemiology, 36(4), 769-775.
Martin, L. T., Burns, R. M., & Schonlau, M. (2010). Mental disorders among gifted and nongifted youth: A selected review of the epidemiologic literature. Gifted Child Quarterly, 54(1), 31-41.
Keyes, K. M., Platt, J., Kaufman, A. S., & McLaughlin, K. A. (2017). Association of fluid intelligence and psychiatric disorders in a population-representative sample of US adolescents. JAMA psychiatry, 74(2), 179-188.
Comments